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  • Alexis Boisselet

R.É.E.L. Randonnée Équestre, Ennuis et Larmoiement :


1er Mars 2022, R.É.E.L. Randonnée Équestre, Ennuis et Larmoiement, Steppe FM :





Le voyage :


Nous sommes dix. Trois chiens, trois chevaux et quatre humains. Trois semaines que l’équipe s’est réunie et deux semaines que nous avons commencé le voyage. Eh oui, car avant de réussir à partir sur les chemins, il nous a fallu sept jours pour adapter les bâts aux chevaux, modifier les sacs, attendre un colis contenant une partie du matériel. Sept jours pendant lesquels nous dormions dans un vieux bâtiment abandonné, où nous devions aller chercher des bottes de paille ou de foin en stop et où l’attente pouvait durer des heures. Puis enfin prêt, nous sommes enfin partis. Nous marchons au cœur d’une plaine cultivée sur les chemins encore boueux de la semaine passée. A peine deux heures que nous marchons et nous décidons de traverser une rivière à gué. Une décision irréfléchie avec du recul, car nous connaissons peu nos chevaux et encore moins leur réaction face à l’eau. Par chance, les chevaux nous ont suivis sans trop protester. Nous avons donc continué notre itinéraire (normalement réalisé en été) et sommes arrivés devant une autre rivière d’une vingtaine de mètres de large. Celle-ci est traversable en été car elle ne dépasse pas 40 cm de profondeur. Pas en hiver. Nous sommes donc contraint à faire un détour, presque un demi tour en fait, de vingt-cinq kilomètres pour arriver de l’autre côté en passant sur un pont à douze kilomètres de là.

Le seconde journée se passe sans souci notable, on se rend compte que même en se levant tôt, nous ne faisons pas plus de 15 km par jour : nous perdons énormément de temps à empaqueter le camp et à mettre les bagages, qui doivent être parfaitement équilibrés, sur les chevaux. En fin d’après-midi, nous traversons enfin le pont, le temps de faire quelques courses de ravitaillement, il est déjà l’heure d’installer le camp. Nous trouvons un rare espace non cultivé, y posons le tipi et avons même la chance de pouvoir prendre une douche dans une maison qu’une dame nous a prêté pour l’occasion.

Le lendemain, la pluie se met de la partie, nous décidons de rester sur place. Pendant quatre jours. Le quatrième jour, lors d’une des innombrables ballades dans la bruine pour faire brouter les chevaux, Jehol se tord la patte. Nous allons chez le vétérinaire le soir même, résultat : quatre jours de repos nécessaires.

Nous mettons donc dix jours pour faire un détour de 25 km. Et en plus, des trois chevaux à tenir en longe, il y a maintenant Jehol à tenir en laisse pour qu’il ne court pas. Il en devient insupportable, le soir venu, je suis dans un état d’énervement avancé à force d’avoir eu à le tirer en arrière, le rappeler, le brimer et surtout d’entendre ses gémissements incessant car il est tenu en laisse.





Les chemins et autres menus soucis du quotidien :


Dès le lendemain, Jehol boite à nouveau. Nous créons avec les moyens du bord une sorte d'attelle pour qu'il ne marche que sur trois pattes. En même temps, nous nous enfonçons dans les sentiers tantôt pierreux tantôt boueux des collines alentours. La route est de plus en plus technique. Il nous faut trouver le balisage, généralement mal indiqué, gérer les chevaux et leur charge entre les roches, les pins et les ronces, faire attention aux éboulis et aux glissements, envoyer les chiens devant pour qu'ils ne finissent pas sous les sabots et éviter de tomber nous mêmes. Un paquet de paramètres à gérer simultanément. Autrement dit, dès que le chemin est difficile, la charge mentale augmente et les tensions aussi. Chacun gère son cheval comme il peut, essaie d'écouter les conseils des autres tout en évitant les chiens ou en arrachant une ronce prise sur les sacoche de bâts. Les éclats de voix sont souvent évités, chacun prend sur soi, mais les quelques mètres parcourus demandent parfois une impressionnante quantité d'énergie. Les passages, sont parfois dangereux, la tension se mêle à l'appréhension quand nous marchons sur des sentiers escarpés à flancs de falaise ou un faux pas du cheval est inenvisageable... ou lorsque que nous descendons à même le lit d'un ruisseau ou chaque roche glisse et où nous sommes obligés de diriger chaque pas du cheval. Et puis, il y a la charge des chevaux qui se déséquilibre parfois sans raison apparente, parfois parce qu'il a fallu sauter un arbre ou un fossé, il faut alors tout enlever et tout remettre.

C'est souvent épuisés que nous montons le camp. Il reste encore mille choses à faire : débâter les chevaux, monter les tentes, trouver du bois pour faire la cuisine pour les chiens et nous, s'occuper de l'attache des chevaux, de leurs pieds, de leurs grains, pester contre le vent ou la pluie... C'est dans ces moments de faux relâchements que de petites dissensions apparaissent au sein du groupe.






Garde alternée :


Nous avons la chance d'être à quatre, un binôme garde tous les animaux pendant que l'autre binôme part en stop chercher du foin, du grains ou des provisions pour nous et les chiens. Ca permet de belles rencontres tout comme de longs moments d'attente sous la météo capricieuse, une botte de foin de trente kilos à nos pieds.

Et puis, il y a toujours la boiterie de Jehol. Nous nous sommes à nouveau arrêtés trois jours mais ça ne semble pas suffisant. Pour ne pas stopper la totalité de notre caravane, Rico et moi mettons en place une garde alternée pour le chien. Rico le garde deux jours à Dalyan où nous avons trouvé un abri chaleureux pendant que je continue avec Marie, Akim, les trois chevaux et les deux chiens puis nous inversons.

Le premier des deux jours avec Marie et Akim fut l'une des pires et des meilleures journées de voyage : alternance de chemins techniques et de routes de terres, paysages magnifiques et variés, point de vue sur les marécages de Dalyan mais aussi détours inutiles où nous nous perdons dans la forêt sur des chemins non cartés, des centaines de mètres de dénivelés inutilement gravis, la luminosité qui descend dangereusement alors que nous retrouvons enfin les balises rouges et blanches tant espérées, une longue et périlleuse descente sur des éboulis glissant à flancs de ravins alors que nous peinons à distinguer le chemin. Enfin l'arrivée dans la plaine alors que les dernières lueurs disparaissent tout à fait. Heureusement nous trouvons un champ d'orangers avec suffisamment d'herbes pour les chevaux et un puits d’où tirer de l'eau.

Le lendemain n'est pas de tout repos, c'est l'épisode imprévu du Ferry.





F(er)ry Style :


Traversée de la ville de Dalyan avec les chevaux et les chiens. Les têtes sortent aux fenêtres, les flics nous contrôlent, les chiens de rues nous suivent et aboient, des smartphones nous filment tranquillement. Enfin nous arrivons au fleuve et donc au ferry (il n'y a pas de pont). Nous considérons, à tort, la traversée en Ferry comme une formalité. Alors que Patate monte sans soucis, les deux autres refusent catégoriquement. Nous essayons de les tirer, de les pousser... une file de voitures se forme derrière nous, le conducteur du ferry nous vire une première fois. Il nous faut passer ce ferry, sinon nous devons marcher autour du lac, soit un détour d'une dizaine de jours sur une route passante et goudronnée. Des locaux viennent nous voir pour nous aider. Obstiner dans l'idée de traverser nous écoutons leur conseils. Sans réfléchir, nous écoutons l'un d'entre eux : leur bander les yeux. Ni une, ni deux, nous marchons, Patate et Marie devant, et Akim et moi derrière avec Koko et Papy des bandeaux sur les yeux. Le ferry est à nouveau de notre côté, Patate et Marie montent dessus, Koko et moi nous engageons. Koko fait un premier pas sur le métal claquant sous son sabot. Elle a un mouvement de recul, je ne vois pas que l'un de ses postérieurs se coince dans la chaîne contrôlant le pont du bateau, je la tire en avant. Par je ne sais quel miracle, son sabot se décoince et elle avance sur la rampe d'accès et enfin sur le pont métallique du ferry qui sonne sous les fers. Un regard au-dessus de mon épaule me montre Akim avec Papy qui refuse toujours d'avancer. Je décide d'attacher Koko au bastingage pour aller aider Akim. Grossière erreur... Koko, toujours aveugle, sent de la pression vers l'avant de la longe attachée et commence logiquement à avancer. Elle passe un de ses antérieurs au-dessus de la rambarde, directement au-dessus de l'eau. Paniqué, je défais le nœud et la tire violemment en arrière, elle tombe à la renverse -heureusement- sur le pont. Elle m'entraine avec elle et je tombe aussi, par chance je ne me retrouve pas sous elle. En panique, elle essaie de se relever sur le métal glissant et retombe plusieurs fois. Je me relève et alors qu'elle s'immobilise de peur, «se laissant mourrir », je me relève et pense enfin à lui retirer le bandeau qu'elle a sur les yeux. Le conducteur du ferry nous fait à nouveau signe de sortir, il ne veut plus prendre le risque que les chevaux montent sur son bateau. Premier échec dangereusement cuisant. Tremblant mais indemne, Koko et moi nous retrouvons à nouveau sur le quais. Plus de peur que de mal.

Nous ne traverserons pas le fleuve aujourd'hui. Alors que la nuit tombe, Rico et Jehol nous rejoignent. Nous recherchons un camp dans la banlieue de Dalyan et trouvons finalement refuge dans l'immense jardin d'une maison. Nous avons de la chance, nos hôtes parlent anglais. Nous leur racontons nos mésaventures de la journée et ils nous mettent en contact avec un ami d'amis du cousin : un spécialiste des chevaux.

Au matin du lendemain, un Turc d'une cinquantaine d'années vêtu d'un casque de vélo et d'un gilet de sauvetage et monté sur un cheval d'un mètre trente vient nous chercher… Nous traversons à nouveau la ville pour aller au second ferry, notre guide parade depuis sa selle au milieu des habitants éberlués. Arrivés au nouveau ferry, Patate monte sans problème. Papy refuse toujours de monter. Notre guide, Rico, Akim et moi tentons de le pousser, de le tirer avec des cordes, sans succès. Notre spécialiste du cheval décide d'attacher la longe de Papy à un tracteur pour le tirer vers l'avant... Nous refusons, il attache finalement la longe de Papy à son propre cheval pour le tracter sur le ferry. Deux chevaux sont sur le bateau, il ne reste plus que Koko à quai. Est-ce la peur d'être abandonnée par ses deux compères ou est-ce l'expérience de la veille ? Il n'empêche que nous arrivons à la faire monter sans soucis.

Lors de la traversée, d'environ une minute, les nuages crèvent. Arrivés de l'autre côté, nous rebâtons et bâchons rapidement les chevaux. Nous trouvons un abri une centaine de mètres plus loin chez un Kosovar qui a aussi un cheval. Ce fut l'une des pires nuits depuis le début de la randonnée. Nous n'avons pas de fourrage pour les chevaux, juste du grain, le feu que nous avons allumé lors d'une accalmie s'éteint sous les trombes d'eau qui s'abattent à nouveau, nous dormons abrités sous une tôle de métal que nous partageons avec 6 chiens (les trois nôtres et trois autres récemment récupérer mal en point sur le bord de la route, par notre hôte) qui aboient dès qu'un des chevaux, à dix mètres de là, fait un pas.

Le lendemain, je retourne avec Jehol en ville pour son arrêt maladie.





Le drôle d'accueil de certains :


En général, il n'y a pas à dire, l'accueil des Turcs est incroyablement chaleureux. Que nous ayons, trois chevaux et trois chiens ne change pas grand chose. Il y a juste une condition à respecter...


Un soir, les chiens et les chevaux confiés à Marie et Akim, Rico et moi nous baladons dans un village à la recherche d'une bière pour faire notre réunion « dissensions à résoudre » récemment mise en place. Nous sommes dimanche et dans un tout petit village et ne trouvons évidemment rien. Nous rebroussons donc chemin vers le terrain vague où nous avons monté le camp lorsqu'un type sort sa tête depuis son camion en double file. Nous comprenons rien à ce qu'il dit de manière assez agressive, lui souhaitons au revoir et continuons notre chemin. Une centaine de mètres avant d'arriver une voix retentit dans notre dos. Le type nous a suivi dans le noir jusqu'ici. On décide de l'attendre, on ne veut pas lui montrer le chemin vers le camp, les trois chevaux et les trois chiens. Il arrive à notre hauteur, et vu sa démarche et l'odeur, pas besoin d'être détective pour voir qu'il est complètement bourré. Il nous crie dessus, on comprend pas grand chose, on tente de lui expliquer comme on peut que nous voyageons à cheval, il ne comprend rien non plus, nous traite de migrant ou je ne sais quoi... Il veut qu'on aille voir un de ses amis anglophones pour clarifier l'histoire. On accepte, sachant que tout le village sait que nous sommes ici et qu'il y a des chances pour que son copains soit plus sobre. Nous le suivons donc, à travers les rues du village, arrivons devant une maison, il entre, nous attendons dehors qu'il ressorte avec son ami. Tu parles ! Il ressort une minute plus tard avec un énorme revolver à la main... Super...On se regarde en coin avec Aymeric, le message passe. On ne panique pas et on réagit bien, sans monter le ton, on explique comme on peut qu'on est Français, on finit par lui montrer nos passeports... Il a compris que nous ne sommes ni Afghans ni Syriens et nous invite à boire un café... Une heure et quelque plus tard, on s'extirpe enfin de l'accueil de notre nouvel « ami ».


Un autre soir, nous trouvons le bivouac parfait. C'est l'anniversaire de Marie, nous sommes allés chercher des Baklavas à la nage de l'autre côté de la rivière, les chevaux ont de l'herbe à volonté, et le feu flambe haut et fort. Nous finissons de manger, la nuit est tombée, les trois chiens se mettent tous les trois à aboyer. Il y a une lumière au loin. On rappelle les chiens, Akim part à la rencontre de l'inconnu, je le suis. Nous arrivons à une vingtaine de mètres de lui. Nous n'arrivons pas à le voir, il nous aveugle avec sa lumière surpuissante et nous hurle dessus. Il baisse un instant sa lumière et nous nous rendons compte qu'il nous braque avec un fusil de chasse. Merde. Nous gardons bien nos mains apparentes, il continue de nous hurler dessus et nous fait signe d'avancer vers le camp. Nous crions à Marie, Rico est venu nous rejoindre entre-temps, de garder les trois chiens à l'intérieur du tipi. Les mains toujours en évidence, nous tentons de lui expliquer que nous sommes Français et que nous voyageons avec des chevaux. Nous arrivons au niveau du tipi, les chiens gronde, il nous aveugle et nous braque à tour de rôle. Il hurle encore, montre une ruche abandonnée à un mètre du tipi et... Bang ! Il tire dessus ! Le bruit de l'arme à feu résonne dans la nuit, les trois chiens apeurés s'enfuient de la tente. Nous avons probablement tous le même réflexe, nous regardons le fusil. C'est un « un-coup », il n'y a plus de balle dans le chargeur. Nous continuons de s'expliquer, il ne nous braque plus, il finit par comprendre que nous sommes des touristes Français... On l'invite à s'asseoir près du feu, et le dissuadons comme on peut de recharger son fusil, on rattrape les trois chiens que l'on remet dans la tente, on lui montre les chevaux. Lui aussi est complètement saoul. Il finit par se détendre à la vue des chevaux. Ouf... Quelques minutes plus tard, il part chez lui avec Rico pour ramener du Raki. Pendant les dix minutes où il est parti, une voiture de flic arrive sur la route de terre, probablement alertée par le coup de feu. Nous leur faisons signe. Ils viennent nous voir, aucun ne parle anglais, on essaie de leur expliquer la situation, on leur explique qu'un mec bourré à tirer à un mètre de nous, ça a plutôt l'air de les faire rire... On leur explique aussi qu'il est parti avec l'un d'entre nous et qu'il va revenir. Ils ont pas l'air de comprendre et décident plutôt de contrôler nos papiers... Bon.

Le mec revient avec Rico, il n'a plus son fusil mais une bouteille de Raki. Il dit bonjour au flic, ils ont l'air de bien se connaître. L'un d'entre eux, nous explique que c'est Osman, un copain à eux , qu'il y a eu « un malentendu » c'est à peine s'il n'ajoute pas « il vous a pris pour des migrants ». La police repart, et nous nous installons tous les cinq, avec le fameux Osman, pour boire du Raki autour du feu. Drôle d'anniversaire pour Marie que de se retrouver à boire du Raki artisanal avec un type fin saoul qui nous a presque tirés dessus trente minutes plus tôt.


Bref, l'accueil en Turquie est incontestablement digne de sa réputation du moment qu'une condition est respectée : ne pas être Arabe. Heureusement toute la Turquie n'est pas comme ça, il n'empêche qu'une question récurrente à presque toutes nos rencontres et de savoir si nous ne sommes pas Syriens ou Afghans… Sans parler des controle de police à chaque village sur notre route… Mieux vaut ne pas être migrants par les temps qui court. Ce racisme systémique serait-il exacerbé par l'ingérence de l'Europe et de sa politique migratoire ?






Conclusion du diptyque :


Vous l'aviez compris, ces deux Newsletters exacerbent d'abord les bons puis les mauvais côtés de notre aventure actuelle. La réalité est bien sûr un mélange des deux et il semble important de le préciser, suite à cette seconde partie, que nous sommes très contents de notre voyage malgré les quelques mésaventures. Certes, en ce moment, nous avons les chaussures et le plupart de nos vêtements trempés par la pluie incessante depuis quelques jours et les nombreux passages d'eaux mais les chevaux vont biens, les chiens aussi (Jehol a retrouvé sa bonne humeur en même temps que sa mobilité), nous faisons des rencontres incroyables, découvrons de superbes endroits en plein cœur de la Turquie.

L'aventure continue donc, nous débattons sur le prochain itinéraire à suivre et galérons à trouver les traces GPS de chemins non cartographiés mais nous amenant dans de fabuleux endroits.




A bientôt !


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