Kapadokya Ranch, part. 2, et si ?, 1/12/2021, Steppe FM
Nous passons une petite dizaine de jours à s’occuper du ranch avec Rifat (le seul employé de la ferme). Petit à petit, nous nous habituons à la routine de la ferme. Tôt le matin, avant 8h, il faut aller faire la traite des chèvres. Sur une quinzaine de bêtes, seulement 5 sont allaitantes. Il faut les séparer du troupeau et les attacher aux trayeuses manuelles. En vérité, elles connaissent leurs places et à peine la barrière ouverte, elles filent vers leur trayeuse en bois qu’il ne reste plus qu’à refermer. La traite prend une petite demi-heure, puis, une fois le troupeau nourri et le poulailler ouvert, on peut rentrer prendre son petit-déjeuner avec 1,5L de lait sous le bras dans l’inimaginable maison troglodyte.
Avec le lait, on prépare le fromage, ce qui est assez simple et en seulement deux étapes : 30 min avec une cuillère du petit lait de la veille, puis 24h avec de la présure. Le lendemain, on peut séparer le fromage frais solide qui s’est agrégé et le petit lait. Le fromage est mis dans un moule et commence alors la période de raffinage plus ou moins longue pendant laquelle il faut jouer avec les paramètres : température et humidité.
Il faut aussi nourrir les vingt chevaux, nettoyer leur espace puis les amener paître dans les vallées à quelques kilomètres de la ferme. Ils reviennent d’eux-mêmes à la nuit tombante. En attendant leur retour, il reste à préparer la nourriture du soir pour tous les animaux, à retourner une demi-tonne de moûts de raisin pour le faire sécher au soleil (ça servira de complément alimentaire pour les bêtes pendant l’hiver).
Et puis, Hélène et Nico nous ont laissé un des chevaux, Shafak, pour que nous puissions nous entraîner à monter tous les jours. Shafak est une petite jument d’un peu plus d’un mètre cinquante au garrot. A tour de rôle, donc un après-midi sur deux, nous pouvons la seller et monter. On se promène dans la région, le lieux est incroyable et à dos de cheval c’est encore mieux. Descendre les apics formés par les concrétions volcaniques, trotter ou galoper dans les vallées jaunies et bordées de crêtes ocres, suivre au pas le cours d’un ruisseau, monter une colline et se retrouver devant un canyon creusés de maison troglodytes et de pigeonniers, faire des pauses pour laisser Shafak se gaver de pomme…
La Cappadoce, une région immense et magnifique balafrée de canyon et de crêtes volcaniques, avec au milieu un petit homme sur le dos d’un petit cheval, suivis par six ou sept chiens, naviguant où bon lui semble. Une éclatante liberté qui se reflète sur les falaises rougeoyantes du soleil couchant. Le souffle régulier du cheval au pas, les respirations profondes du cheval au galop et les jambes en feu d’amortir le mouvement.
Chaque jour on se sent de plus en plus à l’aise. Le trot était désagréable les premières fois et le galop nous déséquilibrait vers l’avant. Mais après quelques séances d’après-midi on s’habitue au rythme du cheval et rapidement on cherche les différentes allures pour s'entraîner, pour sentir le cheval rouler sous nous, pour filer vers le canyon au loin…
On profite aussi de cette semaine pour acheter de nouvelles chaussures, les anciennes ont la semelle qui se décolle de plus en plus. Ça fait un gros trous dans le budget mais c’est pas comme si on avait le choix. On décide de faire leurs premières armes en visitant la vallée rouge. Rifat nous dépose en voiture à Ortanishar vers 8h, nous longeons la route jusqu’à rentrer dans la “red valley”. C’est un ensemble de plusieurs petites vallées en contrebas d’un immense plateau stratifiés horizontalement. Nous avons la chance d’être en période creuse, il n’y a presque personne. On déambule sur les chemins escarpés, on visite quelques incroyables grottes creusées par l’homme, on entre dans les églises troglodytes, nous passons même deux heures à faire de l’escalade dans une de ces grottes. L’objectif : faire le tour sans poser le pied à terre. A la fin, les avant-bras moulus et les chaussures pleines d'éclats de roche effritée (preuve que c’est plutôt une mauvaise idée de faire de l’escalade sur une roche tendre) nous allons prendre un thé dans la seule buvette-grotte de la vallée. Nous sommes absolument seuls avec la vue pendant un bon quart d’heure. Puis un couple de Français vient s’asseoir à proximité. Nous faisons la rencontre de Marie et Akim, deux français de 28 ans. Ils sont à vélo et ont, eux-aussi, traversé l’Europe pour rejoindre la Turquie. Ils voyagent avec deux chiens , Moustache et Pancho, tous deux un peu plus petits que notre Jehol national. Nous leur parlons du ranch et de venir nous voir quand Hélène et Nico seront rentrés.
Un matin, Jehol boite. Sa boiterie est bien plus importante que lorsqu’il a une épine sous la patte. En l'examinant, on découvre une morsure infectée au niveau du coude. Il a dû la recevoir lors d’un des jeux ayant un peu dégénéré avec les autres chiens de la ferme. On nettoie la plaie avec un antiseptique et attendons de voir si la blessure se résorbe d'elle-même en l’isolant dans la sellerie. Le Lendemain, sa patte est encore plus gonflée, on se décide à lui donner des anti-inflammatoires et quelques antibios. En deux jours le gonflement disparaît et la plaie est presque refermée. Il ne boite plus du tout, et étonnement, lorsqu’on le relâche avec les autres chiens il semble beaucoup mieux accepté. Après l’épreuve de la morsure, Jehol fait désormais partie de la meute du Kapadokya Ranch.
La semaine suit son cours, nous nous occupons des animaux et sommes de plus en plus confiant sur le dos d’un cheval. Hélène, Nico et Pablo rentrent le dimanche soir. Le lendemain Marie, Akim et leur deux chiens arrivent pour le déjeuner. Ils décident de rester quelques jours ici. Nous reprenons les travaux pour préparer l’hiver (coupe du bois, fossés le long de la route, renforcement des serre-tunnels à la chaux…).
En parallèle nous essayons de préparer la suite du voyage… Nous imaginons différentes options, creusons dans toutes les directions mais plus nous cherchons plus nous nous retrouvons devant des portes scellées. L’hiver approche et avec lui le Covid mute et devient de plus en plus menaçant. Nous pourrions aller en Iran mais le Turkménistan reste fermé, nous pourrions aller en Géorgie mais la Russie n’a d’ouvert que ses frontières aériennes. En plus l'Azerbaïdjan ferme ses frontières terrestres, le Kazakhstan a ses frontières fermées au tourisme, seul l'Ouzbékistan est ouvert par voie aérienne mais de là nous ne pourrions aller au Kirghizistan dont les frontières terrestres sont fermées. A défaut, nous pourrions nous envoler directement pour le Kirghizistan mais pour y faire quoi en plein hiver ?
Petit à petit, un nouveau plan germe dans notre tête. Et si nous restions en Turquie ? Cette idée fait son chemin dans notre esprit mais aussi dans celui d’Akim et Marie. Nous allons nous débrouiller pour obtenir un permis de séjour en Turquie puis nous descendrons dans le sud, vers Antalya, là où il fait plus chaud. Quatre Français avec trois chiens au sud de la Turquie pour passer l’hiver, ça sonne plutôt bien. D’autant plus que nous planifions d’acheter deux chevaux de bâts et de longer à pied la côte sud en direction d’Izmir.
Reste plus qu’à obtenir les papiers, et à s’organiser tant au niveau de l’achat des chevaux, de l’itinéraire que du matériel nécessaire…
Et si ?
Quatre français, trois chiens et deux chevaux sur la côte méditerranéenne pendant l’hiver… Ca ressemblerait au début d’une belle aventure !
Belles nouvelles, belles rencontres, beaux jours, beaux projets... La Turquie, oui, et profitez des premiers beaux jours du printemps pour découvrir les montagnes du Taurus (sud de la Turquie entre la côte et le plateau anatolien). Là également, à cheval, vous serez partout bien reçus !