Adieu l'Europe, Septembre 2021, Steppe FM :
La dernière semaine au jardin passe rapidement, nous avons mille choses à faire : finir les plantations et l’arrosage, réparer les vélos qui grincent de partout, retrouver nos affaires éparpillées sur tout le terrain et planifier l’itinéraire.
Nous partons finalement le 15 septembre après un dernier déjeuner avec Georgio. Nous nous donnons 15 jours pour arriver à Istanbul, au programme : 650 km, 6500 mètres de dénivelé positif et une frontière à passer.
Alors que nous filons sur les dix premiers kilomètres, la route commence à monter… Nous quittons la côte pour nous enfoncer dans les montagnes. Je crois qu’en un mois nos muscles ont complètement fondu. C’est horriblement dur ! On se traîne. On doit faire du 3 km/h sur une route à 6% à peine. A la première pause, trempés de sueur, on éclate de rire : A-t-on vraiment rouler jusqu’ici avec des vélos aussi pourris et aussi lourds ? On reprend la montée, nos jambes tremblent, à chaque coup de pédale je nous maudit de transporter autant. Ce serait tellement plus simple de voyager en ultraléger !
Trois heures plus tard, la nuit tombe, nous nous arrêtons dans un champ où un cheval broute tranquillement et nous montons le camp au soleil couchant. Nous avons fait 30 km, nous sommes en retard sur notre programme, et ce dès le premier jour. D’un autre côté, le tipi fait face aux montagnes rougeoyantes, nous cuisinons au feu et la nuit tombée, nous nous accordons le luxe de regarder un film en pleine nature.
Les jours passant c’est de plus en plus simple. Nos muscles se reforment, les paysages sont grandioses, les bivouacs aussi et à part quelques problèmes de crevaisons (avec une jolie moyenne de trois par jours) nous rattrapons notre retard et roulons une cinquantaine de kilomètres par jour. Notre quotidien est rythmé par les roues crevées. On se décide enfin à renforcer les pneus des vélos avec une gaine de kevlar fixée à l’intérieur du pneu. Depuis ce jour, notre quotidien est rythmé par les roues crevées... des carrioles… Ce qui est quand même un peu mieux.
Finalement, après une semaine sur la route, de nombreux bivouacs en bord de mer, quelques bières offertes par des locaux et une super soirée passée à débattre avec une gréco-française de la différence entre le féminisme radicale et le féminisme libérale nous arrivons en vu d’Alexandropouli : dernière ville avant la frontière turque.
Il ne reste plus qu’une belle descente pour y arriver mais la nuit nous rattrape plus tôt que prévu. On décide tout de même de descendre pour trouver notre bivouac. Je file derrière Rico et sa carriole grinçante, une drôle d’odeur de caoutchouc brûlé me monte au nez et soudain CRACK… Je suis arrêté net, j’aperçois Rico qui file au loin avant de me retourner et de voir, coupées en deux, ma carriole gisant au milieu de la route.
Mauvaise soirée en perspective. La nuit est tombée, Rico est revenu et nous regardons stupidement les deux morceaux de carrioles. Les bagages ont été épargnés, on les répartis comme on peut entre nos vélos et la carriole restante et réassemblons l’autre avec des zips. A vide, ça semble tenir. On repart, les frontales éclairent la route. Nous n’avons pas d’eau, un vent violent nous arrive en pleine face. Nous longeons des résidences secondaires inoccupées. Finalement, bataillant contre le vent, nous trouvons une maison éclairée. On s’arrête pour demander de l’eau. Il n’y a pas de sonnette, j’ouvre le portail et traverse le jardin en ayant l’impression de n’avoir rien à faire ici, les graviers crissent sous mes pas. Je toque sur la baie vitrée, un homme sort…
Et en fait, il est adorable, il nous offre deux bouteilles d’eau et nous propose de camper dans le jardin ! Le lendemain, sa femme et lui nous réveille pour nous inviter à prendre le petit déjeuner. Ils vivent en Allemagne, lui est Iraquien, elle est Syrienne, ils sont en vacance ici et nous offrent le meilleur petit dej que nous ayons eu depuis bien longtemps !
Nous passons une demi journée à Alexandroupoli à essayer de ressouder la carriole. Je parcours toute la ville allant de garage en garage. Ils refusent tous. Je rejoins Rico et nous décidons d’abandonner la carriole. On va se débrouiller sans pour les 300 km restants. Nous dormons dans un champ à quelques kilomètres de la Turquie.
Nous arrivons à la frontière tant redoutée : nous sortons de l’espace Schengen et nous quittons l’Europe. On s’attend à galérer, à devoir négocier pour passer avec le chien. Une file de camions de plusieurs kilomètres nous fait pressentir le pire. Rien de tout cela, nous quittons la Grèce sans aucun problème. Côté turque c’est la même chose, nous passons trois barrages sous trois énormes arches sans aucun souci. Il ne nous demande même pas les papiers du chien.
Ça y est, nous sommes en Turquie, l’eau est rarement potable, la route s’est transformée en une 4 voies entourée d’immenses champs de monoculture et les gens sont adorables. Nous avons 7 jours pour rejoindre Istanbul située à 300 km. Il n’y a pas grand chose à raconter sur les six premiers jours. Nous roulons sur la bande d’arrêt d’urgence d’une quatre voies. Le trafic est peu intense et les voitures ne vont pas très vite. Les collines se succèdent, les bivouacs à quelques mètres de notre autoroute aussi. Les gens nous invitent à boire du thé avec eux, nous offrent des fruits et des légumes, nous font des signes d’encouragements quand ils nous dépassent.
Nous arrivons dans l’agglomération autour d’Istanbul, il nous reste 90 km avant d’arriver à notre logement. Le trafic est de plus en plus intense, la bande d’arrêt d’urgence s’affine jusqu’à disparaître, des camions crachant de gros nuages noirs nous frôlent en nous dépassant. On décide de passer par les petites routes, qui rajoute de la distance et du dénivelé mais sont beaucoup moins dangereuses. Mon porte-bagage arrière, surchargée, casse une première fois. Nous poussons le vélo sur 100 mètres et trouvons un garagiste qui nous le ressoude en trois minutes. C’est reparti.
Il est 16h, nous traversons un premier pont, nous sommes officiellement à Istanbul ! Sauf qu’il nous reste 60 km avant d’arriver… Une grosse montée plus tard et nous sommes en pleine ville ou plutôt en pleine capitale. Il n’y a plus de petites routes mais des artères gigantesques et des embouteillages. On se lance dans un trafic ultra dense. Nous roulons, heureusement en descente, sur une 10 voies. On a mis toutes les lumières possibles en mode clignotant. On fait des pauses toutes les dix minutes pour faire redescendre l’adrénaline. Les voitures klaxonnent, les camions et les bus nous frôlent. On a les mains crispées sur les freins. Mon porte bagage casse à nouveau… On transfère les affaires comme on peut et continuons.
Finalement on trouve un terrain vague en pleine ville où nous nous arrêtons pour la nuit. Un gardien vient nous voir, nous sommes persuadés qu’il va nous virer d’ici sauf qu’on en peut plus et il n’y a aucun autre endroit où dormir. Il ne parle pas un mot d’anglais, il ramène son ami et nous comprenons qu’il nous propose de dormir sous un arbre à l'abri et nous demande si nous voulons du thé !
Après cette courte nuit nous revoilà dans cet enfer urbain. Nous roulons les quarante derniers kilomètres en slalomant entre les voitures en descente et sur le trottoir en montée. Nous arrivons enfin chez Murat qui nous loge cette semaine. Ce soir nous avons une douche chaude, dont nous avons bien besoin, et dormons dans un lit !
C’est la fin d’un épisode. Nous sommes arrivés à Istanbul, aux portes de l’Asie, avec nos vélos à 30€. Mission accomplie. Après 3500 km, 3 mois et demi de voyages, 2 mois et demi de projets de souveraineté alimentaire , 102 bivouacs différents, une cinquantaine de crevaisons et une multitude de rencontres inoubliables, nous avons terminé le voyage… à vélo !
Car dans une semaine à peine nous quittons Istanbul direction les Cappadoce ! Nous avons trouvé un plan en or : accompagné deux randonnées équestres pour aider sur la logistiques avant de passer plusieurs semaines à s’occuper des chevaux. Cette fois nous voulons expérimenter le stop avec un gros chien : plus qu’à trouver un joli déguisement pour Jehol pour le faire ressembler à gentil chien inoffensif (ce qu’il est même s’il n’a pas la gueule de l'emploi) !